Nous sommes tous au chômage !” cria Table, « TOUS »!
C’était un sombre jour, les mots pleuraient, après avoir été, petit à petit, remplacés par un autre. C’était l’œuvre du dictateur, Truc, qui régnait sur le Dictionnaire.
Madame Larousse, Monsieur Robert et son petit, se réunissaient régulièrement pour essayer de trouver une solution à ce désastre qui mettait tant de mots au chômage ; mais en vain.
Immeuble, Téléphone, Ordinateur, Tiroir, Couteau, Tournevis, Bouton, Livre, Imprimante, Sous-Verre, Armoire, Tapis, Caisse, Dos, Texte, Objet, Palmier, Image, Dortoir, Escalier, Lampe, Horloge, Coussin, et beaucoup d’autres, perdait leur raison d’exister.
Truc était sur les lèvres de tous les êtres humains. « J’ai un Truc à te donner », « Tu as oublié le Truc », « Il est beau le Truc qu’on a acheté », «Mais d’où est-ce que tu as ramené ce Truc ? », « A ta droite, tu verras un grand Truc en marbre, c’est l’immeuble d’après », « Est-ce que tu peux me chercher mes lunettes ? Elles sont près du Truc », « Mais c’est quoi ce Truc ? ». Masculin, féminin, pluriel ou singulier, peu importait le mot original, Truc, compact et efficace, avait le pouvoir de remplacer et de faire le travail des autres.
Les mots, envahis par la peur du dictateur, se retrouvaient tard la nuit, pour en discuter. Personne ne savait à quoi il ressemblait, d’où est-ce qu’il venait, où était-il né et qui était sa famille. Bouche et Oreille faisaient passer le message : « Il a une voix grave. Il aime les gommes et les effaces-encres. Il passé sa nuit à fumer son cigare, devant la cheminée. On le voit toujours de dos. » Toutes les villes du Dictionnaire, de A à Z, communiquaient discrètement afin de pouvoir planifier une attaque contre Truc.
-« On ira lui bruler son empire ! » Dit Question.
-« Non, non, pire ! On ira lui arracher ses lettres » Affirma Cahier.
Les mots étaient en rage, partout sur les pages se préparaient des manifestations : « Nous voulons être dits plus qu’écrits, plus personne né nous utilise en parlant ! ».
Enfin, les mots passèrent à l’acte : ils attaquèrent l’empire. Une fois à la porte, toutes les apocopes, guidées par Sympa, Resto, Fac, Pub, étaient prêtes à défendre le dictateur qui les avaient entraînées avec lui. D’autres mots aussi, comme Bouffe, Meuf et Chiottes, d’origine douteuse, et sans traditions, protégeaient Truc.
« A vos marges, prêts, PARTEZ » hurla Chef. Tous les mots attaquaient, espérant pouvoir tuer le mot qui les faisait tant souffrir. Ils réussirent à dépasser l’entrée de l’empire. La foule de mots se heurta à un mur de majuscules. CHOSE, BIDULE et MACHIN faisaient peur. Ils étaient bien préparés à cette attaque contre leur père : ils se servaient de tous les trucs utiles en guise d’armes, et bombardèrent la foule de mots.
Ils enduraient : « Je n’arrive plus à respirer… aidez-moi ! » Murmura Feuille.
Les majuscules regardaient les mots mourir tranquillement.
Porte et Parole, expirant, s’exprimaient d’une voix tremblante : « Nous avons tous bien vécu, mais nous n’avons plus de place ici. Le monde n’apprécie plus la langue, né respecte plus ses origines. » Les mots enterrés sous le tas de trucs écoutaient leurs derniers mots : « Les trucs changent avec le temps, nous faisons partie de ces trucs… ».
Le lendemain, le champ de bataille était jonché de lettres et d’empattements, tel des jetons de Scrabble après une compétition serrée. Les mots étaient morts.
Truc avait gagné, et gagne toujours.
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